dimanche 9 novembre 2014

Thierry Berlanda, Marie Fontaine, Antonia Medeiros, Kemi Outkma et Chris Simon se livrent à vous

Aujourd'hui, ce sont cinq auteurs qui sont à l'honneur sur le blog. Si j'ai décidé de les réunir dans une seule interview, c'est parce qu'ils ont un point commun qui est le recueil de nouvelle "Pentatracks".

(Un clic sur l'image vous mènera vers mon avis)

Isa: Présentez vous en quelques mots :
Thierry: Je suis une sorte d'écrivain multi-services : j'écris des romans, de la philosophie et des chansons. Comme romancier, je suis très heureux car l'année 2014 a vu le succès de mon thriller l'Insigne du boiteux. Au moment où j'écris, un autre de mes romans, Tempête sur Nogalès, est N°1 des ventes sur Amazon, tous genres littéraires et supports confondus. Comme philosophe, je publie des articles dans plusieurs revues et je prépare pour octobre 2015 un colloque à la BNF autour de Michel Henry, René Girard et Emmanuel Levinas.


Kemi: Me présenter ? Bon. Moi c'est Kemi Outkma, j'écris depuis que je sais tenir un stylo et continuerai probablement jusqu'à ce que mort s'ensuive, j'ai à ce jour vu publié, outre ma participation à Pentatracks, un roman (format papier : Cycle(s), Editions Unicité 2012 et format numérique : Demain je ne pointe pas, Editions Numeriklivres 2014), un recueil de nouvelles (format papier : Junkz, Editions Forgeurs d'étoiles 2014) et quelques articles dans la revue d'expression littéraire Le cafard hérétique. Je tiens également un blog sur wordpress : Tranches de vi(d)e.
Quant à parler de moi, c'est un exercice que je préfère laisser aux autres ; ils le font, en bien comme en mal, toujours mieux que moi... en échange je m'offre le luxe de rester spectateur, me faire témoin et volontiers critique de leurs vies et de leurs morts, auxquelles je rends un hommage sincère par mes histoires, trop sincère pour que ces histoires finissent bien.


Marie: Je préfère laisser les mots parler pour moi. Ils se débrouillent plutôt bien, à ce qu’il paraît. Je les aime tellement que j’ai poussé le vice jusqu’à étudier plusieurs langues, en sus du français : anglais, italien, allemand, espagnol, occitan… En revanche, je ne suis pas du tout attirée par celles, trop limitées à mon goût, qui s’écrivent au moyen d’idéogrammes, comme le chinois ou le japonais. Les lettres de nos alphabets sont nettement plus riches, offrant des possibilités quasi illimitées de combinaisons, du moins de mon point de vue.


Chris: Solitaire, mais sociable, je fais de mes personnages des êtres vivants et des êtres que je rencontre des personnages.
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Antonia: Je suis une romancière franco-américaine qui vit à Montréal. Mon premier roman, la saga familiale des Crèvecoeur, a récemment été publié aux Éditions La Bourdonnaye et il illustre bien, tout comme cette nouvelle que j'ai écrite, ma fascination pour les histoires avec un H et les personnages plus grands que nature.

Isa: Comment avez-vous choisi la chanson qui allait vous inspirer pour écrire la nouvelle?
Thierry: J'ai choisi Take a walk on a wild side, de Lou Reed, dans une liste préétablie, ce qui restreignait un peu mon choix. Mais comme j'aime ce titre depuis toujours, je n'ai eu aucun mal à me décider pour lui. D'autant que je ne connaissais pas si bien la plupart des autres...


Kemi:  Quand j'ai reçu la playlist finale postée par les internautes, j'ai d'abord éliminé tous les morceaux qui faisaient partie de mon paysage musical personnel, quotidien, je ne voulais pas qu'il y ait de souvenir intime ou une vision déjà préconçue, ça en a déjà éliminé une bonne partie. Je me suis enfermé et j'ai écouté l'ensemble des titres restant d'une traite, à la fin de l'écoute j'en avais retenu deux. J'ai finalement opté pour MIA pour plein de raisons, notamment l'interprète est une femme et elles étaient peu nombreuses en lice, et puis le côté contemporain, urbain, les influences électro et hip-hop et sa présence dans le film Slumdog millionnaire ont fait apparaître à moi Alicia et Caleb dès cette première écoute. Deux sales gosses, je n'ai pas beaucoup hésité !


Marie: Bien avant l’expérience Pentatracks, je m’étais dit qu’un jour j’écrirais un texte inspiré par un morceau de Hubert-Félix Thiéfaine. C’est le seul chanteur (francophone) dont j’ai la discographie complète à la maison. Je suis fan de ce poète depuis ses débuts. Lorsqu’on m’a proposé de participer au recueil, moi qui ne suis pas croyante, je me suis surprise à prier pour que l’une de ses chansons soit proposée. Quand j’ai eu connaissance de la playlist, j’ai lévité de dix bons centimètres au-dessus du fauteuil de mon bureau : Mathématiques souterraines y figurait ! Nirvana… Euh non, Thiéfaine !

Chris: Ça a été difficile, car depuis quelques années, j'écoute de moins en moins de musique. Je préfère le silence. Au départ, je voulais le titre de Lou Reed « Take a Walk on the Wild Side », parce que j'aime bien, mais aussi parce que Lou Reed était mon voisin pendant des années à New York. Tout de suite, j'ai eu envie de partir sur l'angle de la proximité, du trottoir sur lequel on croise l'autre... Oui, simplement, limpide, ça commençait en traversant la rue. Mais le titre avait déjà été pris. Alors j'ai écouté au moins une fois les morceaux choisis par les internautes et je suis revenue à la même époque. À l'époque du rock des poètes inspirés par les thèmes de l’androgynie, l’identité, la sexualité, la sensualité, et je suis tombée sur, « Riders On the Storm » de The Doors. Le chaos mental qui règne dans ce morceau m'a complètement habitée pendant quelques jours et j'ai essayé à travers un groupe de personnages de retranscrire ce chaos des sens et de l'esprit.

Antonia:J'ai écouté la liste des titres qui nous avait été envoyée avec une vague idée d'histoire derrière la tête. Dès que j'ai entendu le titre de Gil-Scott Heron, avec son ambiance sombre et envoûtante, j'ai eu le coup de foudre et j'ai su que c'était la bonne. Après deux écoutes, toute mon histoire s'est mise en place et le personnage d'El Santo se tenait littéralement devant mes yeux. C'est un morceau de musique particulièrement intéressant parce que c'est une relecture très moderne d'un morceau classique de Blues. Du coup, le sujet littéraire qu'il illustre devient lui aussi atemporel: le retour permanent du diable et à travers lui, plus symboliquement, celui du mal.



Isa: Pouvez-vous partager avec les lecteurs votre ressenti quant à cet expérience d'écriture en musique ?
Thierry: Comme auteur de chansons, dont je fais parfois moi-même aussi la musique, "l'écriture en musique" m'est vraiment familière. D'ailleurs, même pour mes romans, et même dans mes textes de philosophie, je suis avant tout sensible au rythme. Je crois que le secret de toute écriture, quel qu'en soit le genre, est dans le rythme. Les gens qui ne sont pas musiciens le confondent avec le tempo, ce qui occasionne des plantages narratifs majeurs, en littérature comme d'ailleurs au cinéma... Alors pour ce qui est de ce que j'ai ressenti en écrivant cette nouvelle est assez habituel pour moi, et très agréable : mettre des mots sur un rythme, donner une couleur à une pulsation, donner chair et vie à cette sorte de battement très mystérieux, au fond. Le plaisir d'écrire est intense, vous savez, même s'il est exténuant : il provient justement de notre "accord parfait", de notre accord intime avec le rythme, j'allais dire "avec le dieu Rythme".


Kemi: Et bien en fait c'est marrant parce que dès que La Bourdonnaye m'a proposé le projet je l'ai pensé par le biais d'une métaphore : Pentatracks serait un peu comme une exposition pluridisciplinaire -donc inattendue et inclassable- dans laquelle 5 auteurs allaient exhiber chacun leur univers et leur style. Un truc un peu bordélique, kaléidoscope littéraire, maelström de couleurs et contrastes, un truc rock n'roll en soi finalement ! 
Cinq chansons pour servir de couleurs de base, la nouvelle comme format de toile et deux mois pour la réaliser. J'avais les personnages, j'avais le troisième plan, il me manquait l'unité d'une narration, l'ensemble du projet reposait sur la segmentation ou la fragmentation davantage que sur l'unité ou la continuité alors j'ai dû me résoudre à l'évidence. 
J'ai écouté les 5 titres en boucle, j'ai regardé les 5 clips « officiels » en boucle, tout en laissant les personnages me raconter leur histoire... des morceaux de leurs vies se sont accrochés à des lambeaux de musique, j'ai écrit au fur et à mesure, dans l'ordre chaotique où elles survenaient, les scènes qui me tombaient dessus en avalanche. 
Le flux s'est tari, j'ai fait le tri, j'ai assemblé les pièces du puzzle, le titre s'est alors imposé d'évidence, j'ai ensuite éliminé les bavures au rasoir et j'ai mis des points de colle pour que l'ensemble tienne debout. Je ne l'ai pas verni par contre... là encore, il m'a semblé que ni le projet, ni la chanson, ni la nouvelle n'appelait à quelque chose de lisse... et puis il était aux environs de minuit, le dernier jour du délai imparti pour rendre le manuscrit.
Depuis, je ne peux pas entendre un des 5 morceaux de la playlist de Pentatracks sans avoir une pensée pour Alicia et Caleb, puis pour les 4 co-auteurs que j'ai rencontrés par ce travail et leurs nouvelles respectives, sans saisir ce prétexte pour raviver les souvenirs agréables des  moments partagés en ces diverses compagnies et surtout, plus encore qu'auparavant, sans avoir cette petite voix en moi vous savez, celle qui veut sans cesse crier : « Rock N'Roll ! »

Marie:C’était à la fois étrange et exaltant de penser que, presque simultanément, cinq auteurs écoutaient leur morceau préféré, qu’ils s’en imprégnaient pour ensuite laisser les mots inspirés courir au bout de leurs doigts. Je me suis amusée à l’idée que si l’on mélangeait toutes les chansons élues, cela aboutirait à une joyeuse cacophonie. Heureusement, le résultat sur le papier est tout autre. Pour finir, je dirais que, chose étonnante, les textes du recueil semblent reliés entre eux par une petite musique invisible, souterraine, comme les Mathématiques que j’ai choisies, alors que nous n’avons pas été en contact les uns avec les autres…
Chris: D'abord, j'ai dû me plonger dans l'univers du morceau de Jim Morrison, m'en imprégner (je l'écoutais plusieurs fois par jour). Je me suis beaucoup appuyée sur la pluie (et les coups de tonnerre) ; ensuite, j'ai laissé éclore et fleurir mon imagination dans cet univers, venir à moi les personnages. Une fois leur entrée en jeu, je les ai faits interagir sans jamais lâcher la sensualité confuse qui plane dans cette musique. J'ai eu la vague impression de revivre quelque chose de l'adolescence en écrivant Jérôme. La nouvelle m'a été entièrement inspirée par « Riders On the Storm ». Je ne pensais pas qu'un seul titre pouvait me faire écrire une nouvelle de plus de 45 000 signes. ;-)
J'ai aussi rencontré une lectrice grâce à ce morceau. En effet, J’ai appris que tu avais choisi ce morceau, je t'en remercie. Avais-tu une vision, une attente en choisissant ce titre ? À mon tour de te demander ce que t'inspire « Riders On the Storm ». 

Edit Isa: Mais de rien pour le choix, merci à toi de l'avoir choisi et moi j'ai rencontré une auteure grâce à ce morceau. Non, je n'avais pas d'attente particulière. Etant une grand fan des doors, c'est le premier titre qui m'est venu en tête quand j'ai vu qu'on pouvait participer en proposant une chanson."Riders on the Storm" m'inspire surtout une époque que j'aurais aimé connaître et, comme je l'ai dit dans ma chronique de "Jim" de Harold Cobert, j'aurais aimé pouvoir assister à un concert des Doors et être plongée dans l'ambiance.

Antonia: C'est une expérience à faire et à refaire et comme beaucoup d'auteurs, j'utilise souvent la musique pour affiner certaines scènes ou personnages. Pour cette nouvelle par exemple, il fallait vraiment que le côté obsessionnel et paranoïaque du personnage reflète le caractère lancinant de la chanson. Écrire en musique, c'est laisser l'émotion de l'écriture se mêler à celle de la mélodie. On est submergé par un flot d'images et de ressentis, sans très bien savoir si c'est le cerveau qui projette une interprétation sur la musique ou si c'est la musique qui nourrit l'imaginaire de l'histoire. Pour moi, toute la richesse de cette expérience d'écriture réside dans la communion des deux. C'est un peu comme l'écriture sous influence, mais en beaucoup plus sain! Ce que je trouve particulièrement intéressant dans le concept de ce recueil, c'est que le lecteur va lui-même, en lisant aussi bien qu'en écoutant Pentatracks, participer à ce dialogue des émotions.  

4 commentaires:

  1. Formidable de partager encore un peu cette expérience entre co-auteurs en lisant leurs impressions. Merci pour cette belle idée, Isabelle ;)

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    1. Mais de rien Marie, merci à vous 5 surtout de vous être prêtés au jeu :)

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  2. Merci pour cette lecture, je l'ai trouvée passionnante. C'est vrai que Pentatracks est un kaléidoscope littéraire. Une belle aventure.

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    1. Mais de rien Chris, c'est vous 5 qui l'avez rendue passionnante :)

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